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APOLOGIE DE SOCRATE

deux veaux, nous saurions fort bien à qui les confier et qui charger, moyennant salaire, b de développer en eux tout ce que leur nature comporte. Nous choisirions quelque dresseur de chevaux ou quelque fermier. Mais ce sont des hommes. À qui donc as-tu dessein de les confier ? Qui est habile à développer les qualités propres à l’homme et au citoyen ? Je suppose que tu y as réfléchi, puisque tu as des fils. Dis-moi, celui qu’il nous faut existe-t-il, oui ou non ? — Oui, certes, répondit-il. — Qui est-ce donc ? demandais-je. De quel pays est-il ? Quel est le prix de ses leçons ? — Socrate, me dit-il, c’est Événos de Paros ; il prend cinq mines[1]. » — Là-dessus, je pensai que cet Événos était un homme privilégié, si vraiment il possède cet art c et l’enseigne à des conditions si modérées. Quant à moi, je serais bien fier, bien content de moi-même, si je savais en faire autant. Mais, franchement. Athéniens, je ne le sais pas.


En quoi consiste la science de Socrate.

Alors quelqu’un de vous serait peut-être tenté de me demander : « Mais enfin, Socrate, qu’en est-il donc de toi ? D’où viennent ces calomnies dont tu es l’objet ? Car, après tout, si tu ne faisais rien d’exceptionnel, comment parlerait-on tant de toi et comment te serait venue cette réputation ? Dis-nous toi-même ce qui en est, si tu ne veux pas que nous nous forgions une explication d à nous. »

Question tout à fait légitime, j’en conviens. Aussi vais-je essayer de vous expliquer ce qui m’a fait cette fâcheuse notoriété. Écoutez donc. — Peut-être, il est vrai, quelques-uns vont-ils s’imaginer que je plaisante. Non, croyez-le bien, ce que je vais dire est la pure vérité. Je le reconnais donc, Athéniens, je possède une science ; et c’est ce qui m’a valu cette réputation. Quelle sorte de science ? celle qui est, je crois, la science propre à l’homme. Cette science-là, il se peut que je la possède ; tandis que ceux dont je viens de parler en ont une autre, e qui est sans doute plus qu’humaine ; sinon, je ne sais qu’en dire ; car, moi, je ne la possède pas, et si quelqu’un me l’attribue, il ment et cherche à me calomnier.

Maintenant, n’allez pas murmurer. Athéniens, si je vous

  1. Événos, de Paros, sophiste et poète élégiaque du ve siècle. Il nous reste quelques fragments de ses poésies.