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APOLOGIE DE SOCRATE

Je dois admettre que tu en conviens, puisque tu ne réponds pas.

d Maintenant, ne considérons-nous pas les démons comme des dieux ou comme des enfants des dieux ? Oui ou non ? — Oui, assurément. — Alors, si j’admets l’existence des démons, comme tu le déclares, et si, d’autre part, les démons sont dieux à quelque titre que ce soit, n’ai-je pas raison de dire que tu parles par énigmes et que tu te moques de nous ? Tu affirmes d’abord que je ne crois pas aux dieux, et, ensuite, que je crois à des dieux, du moment que je crois aux démons ! Autre hypothèse : si les démons sont des enfants bâtards des dieux, nés des nymphes ou d’autres mères[1], comme on le rapporte, qui donc admettrait qu’il existe des enfants des dieux, mais qu’il n’y a pas de dieux ? e Autant vaudrait dire qu’il y a des mulets issus de juments et d’ânes, mais qu’il n’y a ni ânes ni juments. Non, Mélétos, il n’est pas croyable que tu eusses ainsi formulé ta plainte, si tu n’avais voulu nous éprouver ; à moins que tu n’aies pas su où trouver un grief sérieux contre moi. Quant à faire admettre par une personne tant soit peu sensée qu’un homme peut croire à des démons sans croire aux dieux, et que le même homme néanmoins peut nier l’existence des démons, des dieux et des héros, voilà qui est radicalement impossible. 28 Cela établi, Athéniens, je ne crois pas avoir besoin de démontrer plus longuement que l’accusation de Mélétos ne repose sur rien. Ce que j’en ai dit suffit.


La mission de Socrate.

Mais j’ai rappelé tout à l’heure que je m’étais attiré beaucoup d’inimitiés. Or, rien n’est plus vrai, sachez-le bien. Et ce qui me perdra, si je dois être condamné, ce n’est ni Mélétos ni Anytos, ce sera cela, ces calomnies multipliées, cette malveillance. C’est là d’ailleurs ce qui a perdu déjà beaucoup d’hommes de bien et ce qui en perdra sans doute plus d’un encore. Car il n’est guère probable que je sois le dernier b à en souffrir.

« Eh quoi, Socrate ? me dira-t-on peut-être, tu n’as pas honte

  1. Rappelons, à titre d’exemples, Asclépios, fils d’Apollon et de la nymphe Coronis ; et d’autre part, Héraclès, fils de Zeus et d’Alcmène, ou encore Dionysos, fils de Zeus et de Sémélé.