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APOLOGIE DE SOCRATE

mît à mort. De tels ordres étaient souvent donnés par eux à beaucoup d’autres ; car ils voulaient associer à leurs crimes le plus de citoyens possible. En cette circonstance, je manifestai, d moi, non par des mots, mais par mes actes, que de la mort — excusez-moi de le dire sans plus de façons, — je me soucie comme de rien ; mais que je ne veux rien faire d’injuste ou d’impie, et que c’est de cela que je me soucie avant tout. Aussi ce pouvoir, si fort qu’il fût, ne réussit-il pas à m’extorquer par crainte un acte injuste. Quand nous sortîmes de la Tholos, mes quatre compagnons se rendirent à Salamine et en ramenèrent Léon ; moi, je m’en retournai au logis. Et, peut-être bien, aurais-je payé cela de ma vie, si le gouvernement des Trente n’eût été renversé à bref délai. Ces faits vous seront attestés e par de nombreux témoins.

Et maintenant, dites-moi : pensez-vous que j’aurais vécu cette longue vie, si j’avais fait de la politique et si, en honnête homme, j’avais pris la défense de la justice, décidé, comme on doit l’être, à la mettre au-dessus de tout ? Tant s’en faut, Athéniens. Et nul autre n’y aurait réussi mieux que moi. Car, toujours, 33 durant ma vie entière, dans les fonctions publiques que j’ai pu exercer par hasard, on reconnaîtra que je me suis montré tel, et, dans ma vie privée, non plus, jamais je n’ai fait une concession quelconque contraire à la justice, pas même à aucun de ceux que mes calomniateurs appellent mes disciples.


Prétendus
disciples
de Socrate.

Des disciples, à vrai dire, je n’en ai jamais eu un seul. Si quelqu’un désire m’écouter quand je parle, quand je m’acquitte de ce qui est mon office, jeune ou vieux, je n’en refuse le droit à personne. b Je ne suis pas de ceux qui parlent, quand on les paye, et qui ne parlent pas, quand on ne paye point. Non, je suis à la disposition du pauvre comme du riche, sans distinction, pour qu’ils m’interrogent, ou, s’ils le préfèrent, pour que je les questionne et qu’ils écoutent ce que j’ai à dire. Après cela, si quelqu’un de ceux-là tourne bien ou mal, de quel droit l’imputerait-on à mes leçons, quand je n’ai ni promis ni donné de leçons à personne ? Et si quelqu’un vient dire qu’il a jamais appris ou entendu de moi, en particulier, quelque chose que tous les autres n’aient pas également entendu, sachez bien qu’il ne dit pas la vérité.