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APOLOGIE DE SOCRATE

n’aurait pas dû citer quelqu’un d’entre eux comme témoin ? S’il l’a oublié, qu’il le fasse maintenant ; je l’y autorise. Oui, s’il peut citer un seul témoin de ce genre, qu’il le nomme. Mais, tout au contraire, juges, vous les trouverez tous, également prêts à m’assister, moi qui corromps leurs proches, moi qui les pervertis, au dire de Mélétos et d’Anytos. Il est vrai que ceux b qui sont corrompus pourraient avoir quelque motif de me prêter appui. Mais ceux qui ne le sont pas, ces hommes mûrs, les parents de ceux-ci, quel motif ont-ils de m’assister, sinon la loyauté et la justice, parce qu’ils savent que Mélétos ment, tandis que, moi, je dis vrai ?


Socrate
se refuse à user de supplications.

En voilà assez, juges : ce que je pourrais dire pour ma défense se réduit à peu près à ces observations, ou, peut-être, à quelques autres du même genre.

c Seulement, il serait possible que tel ou tel d’entre vous, se rappelant certains faits personnels, s’indignât de ce qu’ayant eu quelque affaire bien moins grave que la mienne, il a prié, supplié les juges avec force larmes, amenant même ses petits enfants pour mieux les attendrir, et encore ses proches avec de nombreux amis, tandis que, moi, je ne veux rien faire de tout cela, bien que j’encoure apparemment le suprême danger. Peut-être cette pensée l’indisposerait-elle contre moi, et alors, irrité de ma conduite, son vote serait un vote de colère. d Eh bien, s’il en est ainsi, — ce que d’ailleurs je ne veux pas croire, — mais enfin, si cela était, voici ce que j’aurais sans doute le droit de lui dire : « Moi aussi, mon cher ami, j’ai des proches ; car comme dit Homère, « je ne suis pas né d’un chêne ni d’un rocher », mais d’êtres humains ; et, par conséquent, j’ai des parents, j’ai aussi des fils, au nombre de trois, dont un qui est déjà grand garçon, et deux tout petits. » Malgré cela, Athéniens, je ne ferai venir ici aucun d’eux et je ne vous supplierai pas de m’acquitter.

Pourquoi ne le ferai-je point ? Oh, pas le moins du monde par bravade, e Athéniens, ni pour vous témoigner du mépris.

    son aîné, est un des interlocuteurs de Socrate dans la République. Apollodore fut un des amis passionnés de Socrate. Cf. Banquet, p. 172 b-c ; Phédon, p. 59 a-b, p. 117 d ; Xén., Mém., III, 11, 17 ; Apol., 28.