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APOLOGIE DE SOCRATE

Que j’aie ou n’aie pas peur de la mort, c’est une autre question ; mais j’estime que mon honneur, le vôtre, celui de la ville entière souffriraient, si j’agissais ainsi, à mon âge, et avec la réputation qui m’a été faite, à tort ou à raison. Que voulez-vous ? 35 C’est une opinion reçue que Socrate se distingue par quelque chose de la plupart des hommes. Or si ceux d’entre vous qui passent pour se distinguer soit par leur savoir, soit par leur courage, soit par tout autre mérite, se conduisaient ainsi, ce serait une honte. Et pourtant, j’en ai vu plus d’un de cette sorte, de ceux qui passaient pour des hommes de valeur, et qui, devant le tribunal, se comportaient étrangement, s’estimant fort à plaindre s’ils doivent mourir. Ne dirait-on pas qu’ils comptent être immortels, à moins que vous ne les mettiez à mort ? Or, j’estime, moi, qu’ils déshonorent la ville : ils donneraient à croire à un étranger que les Athéniens distingués b par leur mérite, ceux que leurs concitoyens choisissent entre tous pour leur confier magistratures et honneurs, n’ont pas plus de courage que des femmes. Voilà donc, Athéniens, ce que nous ne devons pas faire, pour peu que nous comptions parmi ceux qui ont quelque renom, et, si nous le faisons, vous, loin de nous y autoriser, vous devez vous montrer décidés à condamner bien plus résolument ceux qui jouent devant vous ces drames larmoyants et qui rendent la ville ridicule que ceux qui se comportent décemment.

D’ailleurs, à part la question de dignité, il ne me paraît pas qu’il soit juste c de prier des juges, d’arracher par des prières un acquittement qui doit être obtenu par l’exposé des faits et la persuasion. Non, le juge ne siège pas pour faire de la justice une faveur, mais pour décider ce qui est juste. Il a juré, non de favoriser capricieusement tel ou tel, mais de juger selon les lois. En conséquence, nous ne devons pas plus vous accoutumer au parjure que vous ne devez vous y accoutumer vous-mêmes ; nous offenserions les dieux, les uns et les autres.

Ainsi, n’exigez pas, Athéniens, que je me comporte envers vous d’une manière qui ne me semble ni honorable, ni juste, ni agréable aux dieux ; surtout, par Zeus, lorsque je suis accusé d’impiété d par Mélétos ici présent. Car, évidemment, si je vous persuadais à force de prières, si je faisais violence