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APOLOGIE DE SOCRATE

d’aucun profit ni pour vous ni pour moi ? pour avoir préféré rendre à chacun de vous en particulier ce que je déclare être le plus grand des services, en essayant de lui persuader de se préoccuper moins de ce qui lui appartient que de sa propre personne[1], de se rendre aussi excellent, aussi raisonnable que possible, de songer moins aux choses de la cité qu’à la cité elle-même, et, en somme, d’appliquer à tout ces mêmes principes ? d Qu’ai-je mérité, je le demande, pour m’être ainsi conduit ? J’ai mérité un bon traitement, Athéniens, si nous voulons être justes ; et, sans doute, un traitement qui me soit approprié. Qu’y a-t-il donc d’approprié à un bienfaiteur pauvre, qui a besoin de loisir pour vous exhorter ? Rien ne conviendrait à un tel homme, Athéniens, comme d’être nourri dans le prytanée. Oui, cela lui siérait bien mieux qu’à tel d’entre vous qui a été vainqueur à Olympie avec un cheval de course ou un attelage à deux ou un quadrige. Un tel vainqueur vous procure une satisfaction d’apparence ; moi, e je vous en apporte une qui est réelle. De plus, il n’a pas besoin, lui, qu’on le nourrisse ; moi, j’en ai besoin. Si donc vous voulez me traiter justement et selon mon mérite, c’est là ce que je vous propose : 37 de me nourrir au prytanée.

Peut-être penserez-vous que ce langage, comme celui que je tenais à l’instant au sujet des larmes et des supplications, est une bravade. Non, Athéniens, en aucune façon ; voici ce qui en est. Je suis convaincu que je ne fais de tort à personne volontairement. Seulement, je ne réussis pas à vous en convaincre. Nous avons eu trop peu de temps pour nous expliquer. Ah ! s’il était de règle chez vous, comme chez d’autres, de ne jamais terminer b en un jour un procès capital, mais d’y employer plusieurs audiences, je vous aurais convaincus. Ici, en si peu de temps, comment dissiper de si puissantes calomnies ?

Certain donc que je ne fais de tort à personne, je ne veux pas, tant s’en faut, m’en faire à moi-même ; je ne déclarerai donc pas qu’il est juste qu’on m’en fasse, je ne proposerai pas qu’on m’inflige une peine. Après tout, qu’ai-je à craindre ? Qu’il ne m’arrive ce que propose Mélétos ? Je viens de vous

  1. Cette distinction entre la personne et ce qui lui appartient est expliquée dans l’Alcibiade, 131 a.