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EUTHYPHRON

obligé de dire quelle était sa religion et, en même temps, d’expliquer le déplorable malentendu qui l’avait fait si étrangement méconnaître par un tribunal populaire. La religion de Socrate, évidemment, n’était pas tout à fait identique à celle du peuple athénien. Il fallait marquer cette différence ; et, en la déterminant discrètement, mais nettement, il fallait faire sentir combien elle valait mieux, combien elle était en réalité plus religieuse.

Cela, il avait été impossible à l’accusé de le dire devant ses juges ; ceux-ci ne l’auraient pas compris ; une telle explication n’aurait pu que les irriter davantage. Voilà pourquoi Platon, écrivant l’Apologie, qui était censée être la reproduction de la réponse faite par son maître à ses accusateurs, n’avait pas pu le dire non plus. Mais il lui semblait que, dans une composition d’un autre genre, il aurait le moyen de l’expliquer, dans une certaine mesure, à ses lecteurs, c’est-à-dire à la partie la plus éclairée du public athénien, à ceux qui désiraient savoir la vérité sur ce point et qui pouvaient l’entendre. Et il pensa, avec raison, qu’il était bon de mettre cette explication dans la bouche de Socrate lui-même, de supposer qu’il l’avait donnée au moment de comparaître en justice, à la veille de sa condamnation, afin qu’elle apparût à tous comme une partie de sa justification. Il crut aussi, avec non moins de raison, qu’il devait montrer, par le tour du dialogue qu’il imaginait, à quel point cette explication eût été inutile ou même impossible ; et c’est ce qu’il eut l’idée de faire, très heureusement, en donnant pour interlocuteur à Socrate, un homme simple, bien disposé pour lui, mais tout imbu des croyances traditionnelles, et en montrant ce personnage absolument incapable, non seulement d’admettre, mais même de comprendre les idées qu’il entendait exposer. L’Euthyphron n’est autre chose que la réalisation très spirituelle et très frappante de ce dessein.



II

LE PERSONNAGE D’EUTHYPHRON


L’Athénien Euthyphron, du dème de Prospalta, choisi par