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NOTICE



III

PHILOSOPHIE DU DIALOGUE


La question essentielle posée par Socrate à Euthyphron est celle-ci : en quoi consiste exactement la piété ?

Comme tous les esprits étrangers à la philosophie, Euthyphron est rebelle aux abstractions. Sa première réponse en est la preuve. La piété, pour lui, c’est d’agir comme il agit dans la circonstance présente. Car, en poursuivant son père devant les tribunaux, il imite Zeus qui n’a pas craint d’enchaîner son père, Cronos, pour le punir d’une injustice. Réponse enfantine, mais qui donne à Socrate l’occasion de dire sa pensée sur ces légendes. Il se refuse nettement à croire à des conflits entre les dieux. Par là, une large portion de la légende mythologique se trouve exclue de la religion, mais ce n’est là qu’un prélude. Euthyphron n’a pas répondu vraiment à la question posée. Socrate lui explique qu’il attend de lui tout autre chose : une définition générale de la piété.

Cette définition, Euthyphron essaye de la tirer de ce qu’il a dit d’abord : la piété, dit-il, c’est ce qui est agréable aux dieux. Pensée qui était, à n’en pas douter, la plus répandue alors. La plupart des Athéniens de ce temps auraient certainement souscrit aux paroles du devin. En les discutant, Socrate va donc pouvoir opposer à la conception commune de la religion une conception plus philosophique.

Pour que la définition d’Euthyphron fût acceptable, il aurait fallu d’abord établir ou admettre que tous les dieux étaient toujours d’accord entre eux sur toutes choses. Sinon, un même acte étant agréable à un dieu, mais désagréable à un autre, serait à la fois pieux et impie. Absurdité, à laquelle le polythéisme ne pouvait guère échapper qu’à la condition d’être ramené, sinon à un monothéisme absolu, du moins à une conception de la hiérarchie divine équivalant en fait au monothéisme.

C’est au fond ce que Socrate suggère par un détour. Il demande à Euthyphron si l’agrément des dieux peut être arbitraire. Est-il admissible qu’il y ait, en matière de justice, des sentiments changeants et incertains chez la divinité ? Les ju-