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NOTICE

fuyant la démocratie victorieuse, se réfugiaient dans les états oligarchiques ; les démocrates, quand ils avaient le dessous, cherchaient un asile dans les états démocratiques. Le « fugitif », comme on l’appelait, était par définition un mécontent, un révolté vaincu, en somme un ennemi de son pays, qui conspirait contre lui. Socrate, évadé de la prison, condamné comme novateur en matière religieuse et comme suspect en matière politique, n’aurait guère pu trouver bon accueil ni dans une cité d’esprit conservateur ni dans une république sagement démocratique qui auraient été en bonnes relations avec les Athéniens. Seuls, peut-être, les ennemis d’Athènes lui auraient volontiers ouvert leurs portes, mais à la condition qu’il consentît à faire chez eux figure de détracteur des lois athéniennes. Son arrivée chez eux aurait ainsi pris la signification d’une protestation contre ces lois, qu’il le voulût ou non. Il était donc vrai qu’en s’évadant il aurait causé à son pays un dommage moral. Et ce dommage eût été d’autant plus grave que sa réputation personnelle était plus grande. Socrate fuyant Athènes, c’eût été, pour toute la Grèce, Socrate en révolte contre Athènes, Socrate appelant sur Athènes la réprobation universelle. Voilà ce que sa haute et délicate conscience avait senti clairement et ce que Platon, fidèle à sa pensée, a voulu exprimer dans le Criton. Si nous sommes obligés aujourd’hui de commenter son langage, c’est que nous vivons dans un milieu très différent du sien.

Répétons donc ce qui a été dit plus haut. Les idées exposées dans le Criton ne constituent pas une doctrine valable en tout temps ni qui puisse être appliquée sans réserve à tout condamné. C’est l’explication de la conduite tenue par Socrate ; cette explication était juste en son temps et pour celui qui en était l’objet.