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CRITON

as peur que les sycophantes[1] ne nous suscitent quelque mauvaise affaire, en nous accusant de t’avoir fait échapper, et qu’ainsi nous n’ayons à perdre toute notre fortune ou, à tout le moins, beaucoup d’argent, peut-être même à subir en outre quelque autre peine. Eh bien, si c’est là 45 ce que tu crains, quitte ce souci. Car, pour te sauver, c’est notre devoir à nous de courir ce risque et un plus grand encore, s’il le faut. Crois-moi donc et fais ce que je te demande.

Socrate. — C’est cela, en effet, qui m’arrête, Criton, et d’autres raisons encore.

Criton. — Ne crains rien de tel, je t’en prie. En réalité, c’est pour une médiocre somme que certaines gens sont disposés à te sauver, à te tirer d’ici. Et puis, ces sycophantes, ne vois-tu pas qu’on les achète à bon marché, et qu’il n’y aurait pas beaucoup à dépenser avec eux ? Or, tu peux disposer de b ma fortune, et je crois qu’elle y suffirait. Au reste, si par amitié pour moi, tu te fais scrupule de dépenser mon argent, il y a ici ces étrangers, tout prêts à contribuer. L’un d’eux, Simmias de Thèbes, a même apporté précisément la somme nécessaire ; Cébès aussi est à tes ordres et beaucoup d’autres[2]. Donc, je le répète, écarte cette crainte qui t’empêcherait d’assurer ton salut. Et ne te préoccupe pas non plus, comme tu le disais devant le tribunal, de cette difficulté, que tu ne saurais comment vivre, si tu quittais le pays. À l’étranger aussi, partout où tu iras, c tu auras des amis. En Thessalie, notamment, si tu veux t’y rendre, j’ai des hôtes qui te tiendront en grande estime et qui assureront ta sécurité, de sorte que personne là-bas ne puisse te faire tort.

Il y a plus, Socrate. J’estime que tu commets une faute en te trahissant toi-même, quand ton salut est dans tes mains ; et tu travailles à réaliser contre toi ce que voudraient tant et ce qu’ont tant voulu réaliser ceux qui sont décidés à te perdre. Est-ce tout ? j’estime encore que tu trahis aussi tes fils. Quand tu pourrais les élever, d faire leur éducation, tu les abandonnes ;

  1. On appelait Sycophantes à Athènes des dénonciateurs de profession ; intimidant d’honnêtes gens par de fausses accusations, ils ne consentaient à les retirer qu’à prix d’argent.
  2. Simmias et Cébès, riches Thébains, philosophes l’un et l’autre, étaient de chauds amis de Socrate. Voir leur rôle dans le Phédon.