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NOTICE

III. Quoi qu’il en soit, Alcibiade s’est rendu aux raisons de Socrate. Mais il s’avise qu’il a eu tort d’accorder que le juste ait tant d’importance en politique. En fait, ce qu’on examine surtout dans les assemblées et ce qui décide des résolutions à prendre, c’est l’intérêt. Platon pose ainsi devant ses lecteurs la question de savoir si le juste et l’utile sont choses distinctes, quelquefois même contraires. Socrate le niait ; son disciple est du même avis. La démonstration qu’il en donne forme comme un second acte dans le dialogue.

Elle peut se résumer en un syllogisme ainsi conçu : tout ce qui est juste est beau ; tout ce qui est beau est avantageux ; donc ce qui est juste est avantageux. La première proposition « Tout ce qui est juste est beau » n’est pas contestée par Alcibiade ; elle est admise comme évidente. Platon a jugé inutile de discuter avec ceux qui la nieraient, tant elle lui a paru conforme à l’instinct le plus profond de l’humanité. La seconde, au contraire, « Tout ce qui est beau est avantageux », est vivement contestée par le jeune homme. Secourir un camarade sur le champ de bataille est beau, dit-il, mais non avantageux. Pour réfuter cette objection, Socrate n’a qu’à lui demander s’il consentirait à être lâche. Alcibiade se récrie : la lâcheté est à ses yeux le plus grand mal ; le courage est la chose dont il voudrait le moins être privé. Il reconnaît par là même, qu’il le tient pour un bien ; pourquoi ? sinon parce que la lâcheté est laide, tandis que le courage est beau. C’est avouer que ce qui est beau est avantageux, donc utile ; et il résulte de là que le juste, étant beau, est par là même utile. Dégagé du formalisme trop verbal dans lequel Platon l’a enveloppé, l’argument, comme on le voit, a une valeur psychologique incontestable. Sa force tient à ce qu’il met en lumière la noblesse instinctive de la nature humaine, le sentiment de l’honneur, qui fait le prix de la vie.

À cet argument, Socrate en ajoute un second ; celui-ci a le tort de ressembler trop à un jeu de mots, auquel d’ailleurs la langue grecque se prête mieux que la nôtre. Le terme εὖ πράττειν, littéralement « se bien conduire », signifie aussi « être heureux ». Voici le raisonnement : Une belle action est l’acte d’un homme qui se conduit bien ; celui qui se conduit bien est heureux ; faire de belles actions est donc le moyen d’être heureux, ou, en d’autres termes, ce qui est