Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/389

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le gouvernement d’autrefois, lâche et mou, comme un instrument dont les cordes détendues ne rendent que des sons languissants et sans énergie. Périclès tint les rênes avec une vigueur nouvelle, et il les tendit avec une autorité princière et presque souveraine : n’employant néanmoins, pour arriver au meilleur but, que des moyens droits et irrépréhensibles ; amenant d’ordinaire le peuple à ses vues par le raisonnement et la persuasion. Quelquefois cependant, quand la foule se montrait opiniâtre, il avait recours à la force et à la contrainte, pour tout conduire à bien. On eût dit un médecin traitant quelque maladie longue, et qui présente des accidents variés : tantôt il permet au malade l’usage d’une chose qui lui plaît, et qui ne peut nuire ; et tantôt il lui administre des remèdes énergiques et violents, qui lui rendent la santé. Chez un peuple possesseur d’un si vaste empire, mille causes produisaient des désordres de toute sorte. À chacune de ces maladies politiques Périclès seul était capable d’appliquer le remède qui convenait, maniant les esprits par l’espérance ou la crainte, et faisant jouer avec adresse ce double gouvernail, pour retenir les emportements de la foule, ou pour lui rendre le courage et la raison, quand elle se laissait abattre. Périclès prouva ainsi que l’éloquence est bien, comme le dit Platon[1], l’art de maîtriser les esprits, et que son fait consiste, avant tout, dans la connaissance des penchants et des passions, qui sont comme des sons et des tons de l’âme, que peut faire rendre seul le toucher d’une main habile.

Cette grande autorité, Périclès la dut non-seulement à son éloquence, mais encore, selon Thucydide, à sa réputation, et à la confiance qu’il inspirait. On savait inaccessible à tous les moyens de corruption, et insensible à l’appât des richesses, un homme qui, ayant trouvé sa patrie grande et opulente, l’avait élevée au comble de

  1. Dans le dialogue intitulé Phèdre.