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LIVRE I.


Il n’est rien ici-bas d’éternelle durée ;
Une chose qui plaît n’est jamais assurée :
L’épine suit la rose[1], et ceux qui sont contents
Ne le sont pas long-temps.

Et puis qui ne sait point que la mer amoureuse
En sa bonace même est souvent dangereuse,
Et qu’on y voit toujours quelques nouveaux rochers,
Inconnus aux nochers ?

Déjà de toutes parts tout le monde m’éclaire ;
Et bientôt les jaloux, ennuyés de se taire,
Si les vœux que je fais n’en détournent l’assaut,
Vont médire tout haut.

Peuple, qui me veux mal, et m’imputes à vice
D’avoir été payé d’un fidèle service,
Où trouves-tu qu’il faille avoir semé son bien,
Et ne recueillir rien ?

Voudrois-tu que ma dame, étant si bien servie,
Refusât le plaisir où l’âge la convie,
Et qu’elle eût des rigueurs à qui mon amitié
Ne sût faire pitié ?

Ces vieux contes d’honneur, invisibles chimères,
Qui naissent aux cerveaux des maris et des mères,
Étoient-ce impressions qui pussent aveugler
Un jugement si clair ?

  1. Hémistiche heureux. A. Chénier.