Page:Poe - Derniers Contes.djvu/259

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après un léger soupir, il reprit contenance et se contenta de dire à notre héros à voix basse : « Je voulais vous dire, Pierre Bon-Bon, qu’il ne faut plus jurer. »

Le philosophe avala une autre rasade, pour montrer qu’il comprenait parfaitement et qu’il acquiesçait. Le visiteur continua :

« Hé bien, nous avons plusieurs manières de nous en tirer. La plupart d’entre nous crèvent de faim ; quelques-uns s’accommodent de la marinade ; pour ma part, j’achète mes âmes vivente corpore ; je trouve que, dans cette condition, elles se conservent assez bien. »

« Mais le corps !… (Un hoquet) le corps ! »

« Le corps, le corps ! qu’advient-il du corps ?.… Ah ! je conçois. Mais, monsieur, le corps n’a rien à voir dans la transaction. J’ai fait dans le temps d’innombrables acquisitions de cette espèce, et le corps n’en a jamais éprouvé le moindre inconvénient. Ainsi il y a eu Caïn et Nemrod, Néron et Caligula, Denys et Pisistrate, puis… un millier d’autres ; tous ces gens-là, dans la dernière partie de leur vie, n’ont jamais su