Page:Poictevin - Songes, 1887-1888.djvu/6

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qu’il est mort pour qu’elle ne pleure pas, elle va le chercher le long de la rivière, asséchée à cette saison. Quand elle trouve son chien, le ventre garni de vers, elle n’est pas dégoûtée de ce que ça sent mal, elle voudrait encore bien caresser son poil qui se colle, et puis, les gros vers blancs qui grouillent, qui se dressent, la font sauver.


Le grand chassecouette — parce qu’il rejettait ses cheveux, — brocanteur en Espagne, les fois qu’elle le vit avec ses petits anneaux aux oreilles et sa barbe en collier et sa redingote jusqu’aux genoux, aussi lent qu’il était long, les yeux si tristes, elle s’égara sur ses pieds, énormes en comparaison de la taille. Ils la retenaient, lui paraissant aussi grands qu’elle. Était-il possible de les remuer, de les chausser !


Dans le champ, le domestique avait écrasé un campagnol, Licette l’aurait voulu vivant pour s’amuser. « Prends un brin de paille, dit-il, souffle lui dans la bouche, ça le fera revenir. » Elle souffla si bien que le rat gonflait, mais ne revenait pas. Et la colère de voir qu’on s’était moqué d’elle lui fit oublier son chagrin.


Près d’une mare, elle se mettait à piquer des frais de grenouilles, par une répulsion pour cette sorte de bêtes. Ces petits points noirs, autant d’yeux qui sans sortir de leur glu l’ajustent. Licette a un éclair de remords. Et elle ne tire que plus vite avec ses bâtons, elle étale sur une pierre les souffre-douleur tout par morceaux. Le lendemain, elle n’oubliera pas de revenir, très heureuse de les trouver secs.


Un matin qu’elle va ticleter à la porte d’une laveuse, elle se demande pourquoi au travers de la poignée un petit fagot d’aubépine. « C’est pour que la Litche soit plus sage », dit sa mère brièvement.


Sur le bord d’une fosse creusée pour une petite fille, elle voit de hasard, entre des morceaux de bois pourris, un crâne qu’elle compare à une vesse-de-loup. Dedans, une envie en torche. Jusqu’à présent elle croyait les morts restant tels qu’on les met dans la bière. Cette vue la fait escamper, le cœur lui battant dans les oreilles.

Ce n’est qu’au cimetière qu’il y a des tilleuls. Jamais elle n’a pu supporter leur odeur.


Elle a des jalousies pour son Hermine, son mari arrive de Madagascar, Licette ne veut pas entendre les histoires du soldat. Devant leur maison, elle passe en détournant la tête, elle crachera même. Mais comme elle était attrapée, si Hermine ne l’appelle pas par la fenêtre ! Et ce nom de Madagascar, elle le pense, elle ne peut pas le dire toujours, sa langue ne veut pas tourner. Elle aurait bien voulu en savoir sur ce pays. Mais elle rentre son désir.