Page:Poincaré - La Science et l’Hypothèse.djvu/13

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Ces dernières se rencontrent surtout dans les mathématiques et dans les sciences qui y touchent. C’est justement de là que ces sciences tirent leur rigueur ; ces conventions sont l’œuvre de la libre activité de notre esprit, qui, dans ce domaine, ne reconnaît pas d’obstacle. Là, notre esprit peut affirmer parce qu’il décrète ; mais entendons-nous : ces décrets s’imposent à notre science, qui, sans eux, serait impossible ; ils ne s’imposent pas à la nature. Ces décrets, pourtant, sont-ils arbitraires ? Non, sans cela ils seraient stériles. L’expérience nous laisse notre libre choix, mais elle le guide en nous aidant à discerner le chemin le plus commode. Nos décrets sont donc comme ceux d’un prince absolu, mais sage, qui consulterait son Conseil d’État.

Quelques personnes ont été frappées de ce caractère de libre convention qu’on reconnaît dans certains principes fondamentaux des sciences. Elles ont voulu généraliser outre mesure et en même temps elles ont oublié que la liberté n’est pas l’arbitraire. Elles ont abouti ainsi à ce que l’on appelle le nominalisme et elles se sont demandé si le savant n’est pas dupe de ses définitions et si le monde qu’il croit découvrir n’est pas tout simplement créé par son caprice[1]. Dans ces conditions, la science serait certaine, mais dépourvue de portée.

S’il en était ainsi, la science serait impuissante.

  1. Voir M. Le Roy, Science et Philosophie. (Revue de Métaphysique et de Morale, 1901.)