Page:Poincaré - La Science et l’Hypothèse.djvu/178

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seulement, comme le souvenir des erreurs passées a rendu l’homme de plus en plus circonspect, on a observé de plus en plus et généralisé de moins en moins.

Chaque siècle se moquait du précédent, l’accusant d’avoir généralisé trop vite et trop naïvement. Descartes avait pitié des Ioniens ; Descartes à son tour nous fait sourire ; sans aucun doute nos fils riront de nous quelque jour.

Mais alors ne pouvons-nous aller tout de suite jusqu’au bout ? N’est-ce pas le moyen d’échapper à ces railleries que nous prévoyons ? Ne pouvons-nous nous contenter de l’expérience toute nue ?

Non, cela est impossible ; ce serait méconnaître complètement le véritable caractère de la science. Le savant doit ordonner ; on fait la science avec des faits comme une maison avec des pierres ; mais une accumulation de faits n’est pas plus une science qu’un tas de pierres n’est une maison.

Et avant tout le savant doit prévoir. Carlyle a écrit quelque part quelque chose comme ceci : « Le fait seul importe ; Jean sans Terre a passé par ici, voilà ce qui est admirable, voilà une réalité pour laquelle je donnerais toutes les théories du monde ». Carlyle était un compatriote de Bacon ; mais Bacon n’aurait pas dit cela. C’est là le langage de l’historien. Le physicien dirait plutôt : « Jean sans Terre a passé par ici ; cela m’est bien égal, puisqu’il n’y repassera plus ».

Nous savons tous qu’il y a de bonnes expériences et qu’il y en a de mauvaises. Celles-ci s’accumule-