Page:Poincaré - La Science et l’Hypothèse.djvu/208

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comme la seule matière primitive ou même comme la seule matière véritable. Les plus modérés considèrent la matière vulgaire comme de l’éther condensé, ce qui n’a rien de choquant ; mais d’autres en réduisent plus encore l’importance et n’y voient plus que le lieu géométrique des singularités de l’éther. Par exemple, pour Lord Kelvin, ce que nous appelons matière n’est que le lieu des points où l’éther est animé de mouvements tourbillonnaires ; pour Riemann, c’était le lieu des points où l’éther est constamment détruit ; pour d’autres auteurs plus récents, Wiechert ou Larmor, c’est le lieu des points où l’éther subit une sorte de torsion d’une nature toute particulière. Si l’on veut se placer à un de ces points de vue, je me demande de quel droit on étendra à l’éther, sous prétexte que c’est de la vraie matière, les propriétés mécaniques observées sur la matière vulgaire, qui n’est que de la fausse matière.

Les anciens fluides, calorique, électricité, etc., ont été abandonnés quand on s’est aperçu que la chaleur n’est pas indestructible. Mais ils l’ont été aussi pour une autre raison. En les matérialisant, on accentuait pour ainsi dire leur individualité, on creusait entre eux une sorte d’abîme. Il a bien fallu le combler quand on a eu un sentiment plus vif de l’unité de la nature, et qu’on a aperçu les relations intimes qui en relient toutes les parties. Non seulement les anciens physiciens, en multipliant les fluides, créaient des êtres sans nécessité, mais ils rompaient des liens véritables.