Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 5.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tique de votre oncle, qui en somme fait un effet bœuf, et la première rigolade passée, frappe par un très grand style. Mais, dit-il, en s’adressant cette fois à moi, il y a une chose, dans un tout autre ordre d’idées, sur laquelle je veux t’interroger et chaque fois que nous sommes ensemble, quelque dieu, bienheureux habitant de l’Olympe, me fait oublier totalement de te demander ce renseignement qui eût pu m’être déjà et me sera sûrement fort utile. Quelle est donc cette belle personne avec laquelle je t’ai rencontré au Jardin d’Acclimatation et qui était accompagnée d’un monsieur que je crois connaître de vue et d’une jeune fille à la longue chevelure ? » J’avais bien vu que Mme  Swann ne se rappelait pas le nom de Bloch, puisqu’elle m’en avait dit un autre et avait qualifié mon camarade d’attaché à un ministère où je n’avais jamais pensé depuis à m’informer s’il était entré. Mais comment Bloch qui, à ce qu’elle m’avait dit alors, s’était fait présenter à elle pouvait-il ignorer son nom ? J’étais si étonné que je restai un moment sans répondre. « En tous cas, tous mes compliments, me dit-il, tu n’as pas dû t’embêter avec elle. Je l’avais rencontrée quelques jours auparavant dans le train de Ceinture. Elle voulut bien dénouer la sienne en faveur de ton serviteur, je n’ai jamais passé de si bons moments et nous allions prendre toutes dispositions pour nous revoir quand une personne qu’elle connaissait eut le mauvais goût de monter à l’avant-dernière station. » Le silence que je gardai ne parut pas plaire à Bloch. « J’espérais, me dit-il, connaître grâce à toi son adresse et aller goûter chez elle, plusieurs fois par semaine, les plaisirs d’Éros, cher aux Dieux, mais je n’insiste pas puisque tu poses pour la discrétion à l’égard d’une professionnelle qui s’est donnée à moi trois fois de suite et de la manière la plus raffinée entre Paris et le Point-du-Jour. Je la retrouverai bien un soir ou l’autre. »

J’allai voir Bloch à la suite de ce dîner, il me rendit