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Bréauté. Il est venu me le raconter, assez drôlement je dois dire.

— Il y avait à ce dîner quelqu’un de bien plus spirituel encore que Babal, dit Mme  de Guermantes, qui, si intime qu’elle fût avec M. de Bréauté-Consalvi, tenait à le montrer en l’appelant par ce diminutif. C’est M. Bergotte.

Je n’avais pas songé que Bergotte pût être considéré comme spirituel ; de plus il m’apparaissait comme mêlé à l’humanité intelligente, c’est-à-dire infiniment distant de ce royaume mystérieux que j’avais aperçu sous les toiles de pourpre d’une baignoire et où M. de Bréauté, faisant rire la duchesse, tenait avec elle, dans la langue des Dieux, cette chose inimaginable : une conversation entre gens du faubourg Saint-Germain. Je fus navré de voir l’équilibre se rompre et Bergotte passer par-dessus M. de Bréauté. Mais, surtout, je fus désespéré d’avoir évité Bergotte le soir de Phèdre, de ne pas être allé à lui, en entendant Mme  de Guermantes dire à Mme  de Villeparisis :

— C’est la seule personne que j’aie envie de connaître, ajouta la duchesse en qui on pouvait toujours, comme au moment d’une marée spirituelle, voir le flux d’une curiosité à l’égard des intellectuels célèbres croiser en route le reflux du snobisme aristocratique. Cela me ferait un plaisir !

La présence de Bergotte à côté de moi, présence qu’il m’eût été si facile d’obtenir, mais que j’aurais crue capable de donner une mauvaise idée de moi à Mme  de Guermantes, eût sans doute eu au contraire pour résultat qu’elle m’eût fait signe de venir dans sa baignoire et m’eût demandé d’amener un jour déjeuner le grand écrivain.

— Il paraît qu’il n’a pas été très aimable, on l’a présenté à M. de Cobourg et il ne lui a pas dit un mot, ajouta Mme  de Guermantes, en signalant ce trait curieux comme elle aurait raconté qu’un Chinois se