Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/104

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complémentaires sur les toilettes, donnés pendant plusieurs jours de suite, tout cela faisait tellement mal aux Froberville, qu’eux, assez sevrés de plaisirs et qui savaient pouvoir compter sur celui de cette matinée, en arrivaient chaque année à souhaiter que le mauvais temps en gênât la réussite, à consulter le baromètre et à anticiper avec délices les prémices d’un orage qui pût faire rater la fête.

— Je ne discuterai pas politique avec vous, Froberville, dit M. de Guermantes, mais, pour ce qui concerne Swann, je peux dire franchement que sa conduite à notre égard a été inqualifiable. Patronné jadis dans le monde par nous, par le duc de Chartres, on me dit qu’il est ouvertement dreyfusard. Jamais je n’aurais cru cela de lui, de lui un fin gourmet, un esprit positif, un collectionneur, un amateur de vieux livres, membre du Jockey, un homme entouré de la considération générale, un connaisseur de bonnes adresses qui nous envoyait le meilleur porto qu’on puisse boire, un dilettante, un père de famille. Ah ! j’ai été bien trompé. Je ne parle pas de moi, il est convenu que je suis une vieille bête, dont l’opinion ne compte pas, une espèce de va-nu-pieds, mais rien que pour Oriane, il n’aurait pas dû faire cela, il aurait dû désavouer ouvertement les Juifs et les sectateurs du condamné.

« Oui, après l’amitié que lui a toujours témoignée ma femme, reprit le duc, qui considérait évidemment que condamner Dreyfus pour haute trahison, quelque opinion qu’on eût dans son for intérieur sur sa culpabilité, constituait une espèce de remerciement pour la façon dont on avait été reçu dans le faubourg Saint-Germain, il aurait dû se désolidariser. Car, demandez à Oriane, elle avait vraiment de l’amitié pour lui. » La duchesse, pensant qu’un ton ingénu et calme donnerait une valeur plus dramatique et sincère à ses paroles, dit d’une voix d’éco-