Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/114

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être ses os et ses vers pour les grandes fêtes. Pourquoi pas ? Tenez, regardez la mère Rampillon, trouvez-vous une très grande différence entre ça et un squelette en robe ouverte ? Il est vrai qu’elle a tous les droits, car elle a au moins cent ans. Elle était déjà un des monstres sacrés devant lesquels je refusais de m’incliner quand j’ai fait mes débuts dans le monde. Je la croyais morte depuis très longtemps ; ce qui serait d’ailleurs la seule explication du spectacle qu’elle nous offre. C’est impressionnant et liturgique. C’est du « Campo-Santo » ! La duchesse avait quitté Froberville ; il se rapprocha : « Je voudrais vous dire un dernier mot. » Un peu agacée : « Qu’est-ce qu’il y a encore ? » lui dit-elle avec hauteur. Et lui, ayant craint qu’au dernier moment elle ne se ravisât pour Montfort-l’Amaury : « Je n’avais pas osé vous en parler à cause de Mme  de Saint-Euverte, pour ne pas lui faire de peine, mais puisque vous ne comptez pas y aller, je puis vous dire que je suis heureux pour vous, car il y a de la rougeole chez elle ! — Oh ! Mon Dieu ! dit Oriane qui avait peur des maladies. Mais pour moi ça ne fait rien, je l’ai déjà eue. On ne peut pas l’avoir deux fois. — Ce sont les médecins qui disent ça ; je connais des gens qui l’ont eue jusqu’à quatre. Enfin, vous êtes avertie. » Quant à lui, cette rougeole fictive, il eût fallu qu’il l’eût réellement et qu’elle l’eût cloué au lit pour qu’il se résignât à manquer la fête Saint-Euverte attendue depuis tant de mois. Il aurait le plaisir d’y voir tant d’élégances ! le plaisir plus grand d’y constater certaines choses ratées, et surtout celui de pouvoir longtemps se vanter d’avoir frayé avec les premières et, en les exagérant ou en les inventant, de déplorer les secondes.

Je profitai de ce que la duchesse changeait de place pour me lever aussi afin d’aller vers le fumoir