Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/127

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ayant le titre de la comédie allemande Oncle et neveu, où l’on verrait l’oncle veillant jalousement, bien qu’involontairement, à ce que son neveu finisse par lui ressembler.

J’ajouterai même que cette galerie serait incomplète si l’on n’y faisait pas figurer les oncles qui n’ont aucune parenté réelle, n’étant que les oncles de la femme du neveu. Les Messieurs de Charlus sont, en effet, tellement persuadés d’être les seuls bons maris, en plus les seuls dont une femme ne soit pas jalouse, que généralement, par affection pour leur nièce, ils lui font épouser aussi un Charlus. Ce qui embrouille l’écheveau des ressemblances. Et à l’affection pour la nièce se joint parfois de l’affection aussi pour son fiancé. De tels mariages ne sont pas rares, et sont souvent ce qu’on appelle heureux.

— De quoi parlions-nous ? Ah ! de cette grande blonde, la femme de chambre de Mme Putbus. Elle aime aussi les femmes, mais je pense que cela t’est égal ; je peux te dire franchement, je n’ai jamais vu créature aussi belle. — Je me l’imagine assez Giorgione ? — Follement Giorgione ! Ah ! si j’avais du temps à passer à Paris, ce qu’il y a de choses magnifiques à faire ! Et puis, on passe à une autre. Car pour l’amour, vois-tu, c’est une bonne blague, j’en suis bien revenu.

Je m’aperçus bientôt, avec surprise, qu’il n’était pas moins revenu de la littérature, alors que c’était seulement des littérateurs qu’il m’avait paru désabusé à notre dernière rencontre (c’est presque tous fripouille et Cie, m’avait-il dit, ce qui se pouvait expliquer par sa rancune justifiée à l’endroit de certains amis de Rachel. Ils lui avaient en effet persuadé qu’elle n’aurait jamais de talent si elle laissait « Robert, homme d’une autre race », prendre de l’influence sur elle, et avec elle se moquaient de lui, devant lui, dans les dîners qu’il leur donnait).