Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/241

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bages du toit en poivrière, ils avaient l’air d’avoir sonné le rassemblement de tous les jolis villages échelonnés ou dispersés à cinquante lieues à la ronde et de les avoir disposés en formation serrée, sans une lacune, sans un intrus, dans le damier compact et rectangulaire de l’aristocratique lettre bordée de noir.

Ma mère était remontée dans sa chambre, méditant cette phrase de Mme de Sévigné : « Je ne vois aucun de ceux qui veulent me divertir de vous ; en paroles couvertes c’est qu’ils veulent m’empêcher de penser à vous et cela m’offense », parce que le premier président lui avait dit qu’elle devrait se distraire. À moi il chuchota : « C’est la princesse de Parme. » Ma peur se dissipa en voyant que la femme que me montrait le magistrat n’avait aucun rapport avec Son Altesse Royale. Mais comme elle avait fait retenir une chambre pour passer la nuit en revenant de chez Mme de Luxembourg, la nouvelle eut pour effet sur beaucoup de leur faire prendre toute nouvelle dame arrivée pour la princesse de Parme — et pour moi, de me faire monter m’enfermer dans mon grenier.

Je n’aurais pas voulu y rester seul. Il était à peine quatre heures. Je demandai à Françoise d’aller chercher Albertine pour qu’elle vînt passer la fin de l’après-midi avec moi.

Je crois que je mentirais en disant que commença déjà la douloureuse et perpétuelle méfiance que devait m’inspirer Albertine, à plus forte raison le caractère particulier, surtout gomorrhéen, que devait revêtir cette méfiance. Certes, dès ce jour-là — mais ce n’était pas le premier — mon attente fut un peu anxieuse. Françoise, une fois partie, resta si longtemps que je commençai à désespérer. Je n’avais pas allumé de lampe. Il ne faisait plus guère jour. Le vent faisait claquer le drapeau du Casino. Et, plus