Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/257

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bien égal que la visite fût ennuyeuse. Mais c’est par dévouement pour elles. Je les ramènerai dans ma carriole. Sans cela elles n’auraient plus aucun moyen de transport. » Je faisais remarquer à Albertine qu’il y avait des trains jusqu’à 10 heures du soir, d’Infreville. « C’est vrai, mais, vous savez, il est possible qu’on nous demande de rester à dîner. Elle est très hospitalière. — Hé bien, vous refuserez. — Je fâcherais encore ma tante. — Du reste, vous pouvez dîner et prendre le train de 10 heures. — C’est un peu juste. — Alors je ne peux jamais aller dîner en ville et revenir par le train. Mais tenez, Albertine, nous allons faire une chose bien simple : je sens que l’air me fera du bien ; puisque vous ne pouvez lâcher la dame, je vais vous accompagner jusqu’à Infreville. Ne craignez rien, je n’irai pas jusqu’à la tour Élisabeth (la villa de la dame), je ne verrai ni la dame, ni vos amies. » Albertine avait l’air d’avoir reçu un coup terrible. Sa parole était entrecoupée. Elle dit que les bains de mer ne lui réussissaient pas. « Si ça vous ennuie que je vous accompagne ? — Mais comment pouvez-vous dire cela, vous savez bien que mon plus grand plaisir est de sortir avec vous. » Un brusque revirement s’était opéré. « Puisque nous allons nous promener ensemble, me dit-elle, pourquoi n’irions-nous pas de l’autre côté de Balbec, nous dînerions ensemble. Ce serait si gentil. Au fond, cette côte-là est bien plus jolie. Je commence à en avoir soupé d’Infreville et du reste, tous ces petits coins vert-épinard. — Mais l’amie de votre tante sera fâchée si vous n’allez pas la voir. — Hé bien, elle se défâchera. — Non, il ne faut pas fâcher les gens. — Mais elle ne s’en apercevra même pas, elle reçoit tous les jours ; que j’y aille demain, après-demain, dans huit jours, dans quinze jours, cela fera toujours l’affaire. — Et vos amies ? — Oh ! elles m’ont assez souvent plaquée.