Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/43

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mais par celui de leurs ascendants, par leur plus lointaine hérédité, si bien que l’être qui se conjoint à eux leur appartient avant la naissance, les a attirés par une force comparable à celle qui dirige les mondes où nous avons passé nos vies antérieures. M. de Charlus m’avait distrait de regarder si le bourdon apportait à l’orchidée le pollen qu’elle attendait depuis si longtemps, qu’elle n’avait chance de recevoir que grâce à un hasard si improbable qu’on le pouvait appeler une espèce de miracle. Mais c’était un miracle aussi auquel je venais d’assister, presque du même genre, et non moins merveilleux. Dès que j’eus considéré cette rencontre de ce point de vue, tout m’y sembla empreint de beauté. Les ruses les plus extraordinaires que la nature a inventées pour forcer les insectes à assurer la fécondation des fleurs, qui, sans eux, ne pourraient pas l’être parce que la fleur mâle y est trop éloignée de la fleur femelle, ou qui, si c’est le vent qui doit assurer le transport du pollen, le rend bien plus facile à détacher de la fleur mâle, bien plus aisé à attraper au passage de la fleur femelle, en supprimant la sécrétion du nectar, qui n’est plus utile puisqu’il n’y a pas d’insectes à attirer, et même l’éclat des corolles qui les attirent, et, pour que la fleur soit réservée au pollen qu’il faut, qui ne peut fructifier qu’en elle, lui fait sécréter une liqueur qui l’immunise contre les autres pollens — ne me semblaient pas plus merveilleuses que l’existence de la sous-variété d’invertis destinée à assurer les plaisirs de l’amour à l’inverti devenant vieux : les hommes qui sont attirés non par tous les hommes, mais — par un phénomène de correspondance et d’harmonie comparable à ceux qui règlent la fécondation des fleurs hétérostylées trimorphes, comme le Lythrum salicaria — seulement par les hommes beaucoup plus âgés qu’eux. De cette sous-variété, Jupien venait de m’offrir un exemple,