Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/96

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comme le premier de Paris, alors qu’il était un des derniers. Non que les comptes rendus fussent mensongers. La plupart des personnes citées avaient bien été présentes. Mais chacune était venue à la suite d’implorations, de politesses, de services, et en ayant le sentiment d’honorer infiniment Mme de Saint-Euverte. De tels salons, moins recherchés que fuis, et où on va pour ainsi dire en service commandé, ne font illusion qu’aux lectrices de « Mondanités ». Elles glissent sur une fête vraiment élégante, celle-là où la maîtresse de la maison, pouvant avoir toutes les duchesses, lesquelles brûlent d’être « parmi les élus », ne demandent qu’à deux ou trois, et ne font pas mettre le nom de leurs invités dans le journal. Aussi ces femmes, méconnaissant ou dédaignant le pouvoir qu’a pris aujourd’hui la publicité, sont-elles élégantes pour la reine d’Espagne, mais, méconnues de la foule, parce que la première sait et que la seconde ignore qui elles sont.

Mme de Saint-Euverte n’était pas de ces femmes, et en bonne butineuse elle venait cueillir pour le lendemain tout ce qui était invité. M. de Charlus ne l’était pas, il avait toujours refusé d’aller chez elle. Mais il était brouillé avec tant de gens, que Mme de Saint-Euverte pouvait mettre cela sur le compte du caractère.

Certes, s’il n’y avait eu là qu’Oriane, Mme de Saint-Euverte eût pu ne pas se déranger, puisque l’invitation avait été faite de vive voix, et d’ailleurs acceptée avec cette charmante bonne grâce trompeuse dans l’exercice de laquelle triomphent ces académiciens de chez lesquels le candidat sort attendri et ne doutant pas qu’il peut compter sur leur voix. Mais il n’y avait pas qu’elle. Le prince d’Agrigente viendrait-il ? Et Mme de Durfort ? Aussi, pour veiller au grain, Mme de Saint-Euverte avait-elle cru plus expédient de se transporter elle-même ;