Page:Proust - La Prisonnière, tome 1.djvu/75

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où Andrée ne me disait pas que la vérité) qui était la bonne ? Andrée était peut-être d’accord avec Albertine. De l’amour, me disais-je à Balbec, on en a pour une personne dont notre jalousie semble plutôt avoir pour objet les actions ; on sent que si elle vous les disait toutes, on guérirait peut-être facilement d’aimer. La jalousie a beau être habilement dissimulée par celui qui l’éprouve, elle est assez vite découverte par celle qui l’inspire, et qui use à son tour d’habileté. Elle cherche à nous donner le change sur ce qui pourrait nous rendre malheureux, et elle nous le donne, car à celui qui n’est pas averti, pourquoi une phrase insignifiante révélerait-elle les mensonges qu’elle cache ? nous ne la distinguons pas des autres ; dite avec frayeur, elle est écoutée sans attention. Plus tard, quand nous serons seuls, nous reviendrons sur cette phrase, elle ne nous semblera pas tout à fait adéquate à la réalité. Mais, cette phrase, nous la rappelons-nous bien ? Il semble que naisse spontanément en nous, à son égard et quant à l’exactitude de notre souvenir, un doute du genre de ceux qui font qu’au cours de certains états nerveux on ne peut jamais se rappeler si on a tiré le verrou, et pas plus à la cinquantième fois qu’à la première ; on dirait qu’on peut recommencer indéfiniment l’acte sans qu’il s’accompagne jamais d’un souvenir précis et libérateur. Au moins pouvons-nous refermer une cinquante et unième fois la porte. Tandis que la phrase inquiétante est au passé, dans une audition incertaine qu’il ne dépend pas de nous de renouveler. Alors nous exerçons notre attention sur d’autres qui ne cachent rien, et le seul remède, dont nous ne voulons pas, serait de tout ignorer pour n’avoir pas le désir de mieux savoir.

Dès que la jalousie est découverte, elle est considérée par celle qui en est l’objet comme une défiance qui autorise la tromperie. D’ailleurs, pour tâcher d’ap-