Page:Proust - La Prisonnière, tome 2.djvu/132

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ce qu’ils appellent un môme ? C’est que cela leur représente autre chose. Quoi ? » « Qu’est-ce que la femme peut représenter d’autre à Albertine ? » pensais-je, et c’était bien là en effet ma souffrance. « Décidément, baron, dit Brichot, si jamais le Conseil des Facultés propose d’ouvrir une chaire d’homosexualité, je vous fais proposer en première ligne. Ou plutôt non, un institut de psycho-physiologie spéciale vous conviendrait mieux. Et je vous vois surtout pourvu d’une chaire au Collège de France, vous permettant de vous livrer à des études personnelles dont vous livreriez les résultats, comme fait le professeur de tamoul ou de sanscrit devant le très petit nombre de personnes que cela intéresse. Vous auriez deux auditeurs et l’appariteur, soit dit sans vouloir jeter le plus léger soupçon sur notre corps d’huissiers, que je crois insoupçonnable. — Vous n’en savez rien, répliqua le baron d’un ton dur et tranchant. D’ailleurs vous vous trompez en croyant que cela intéresse si peu de personnes. C’est tout le contraire. » Et sans se rendre compte de la contradiction qui existait entre la direction que prenait invariablement sa conversation et le reproche qu’il allait adresser aux autres : « C’est, au contraire, effrayant, dit-il à Brichot d’un air scandalisé et contrit, on ne parle plus que de cela. C’est une honte, mais c’est comme je vous le dis, mon cher ! Il paraît qu’avant-hier, chez la duchesse d’Agen, on n’a pas parlé d’autre chose pendant deux heures ; vous pensez, si maintenant les femmes se mettent à parler de ça, c’est un véritable scandale ! Ce qu’il y a de plus ignoble c’est qu’elles sont renseignées, ajouta-t-il avec un feu et une énergie extraordinaires, par des pestes, de vrais salauds, comme le petit Châtellerault, sur qui il y a plus à dire que sur personne, et qui leur racontent les histoires des autres. On m’a dit qu’il disait pis que pendre de moi, mais je