Page:Proust - La Prisonnière, tome 2.djvu/146

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attendait des explications. Il y a, d’ailleurs presque toujours, attachée à l’idée d’un entretien qui pourrait éclaircir un malentendu, une autre idée qui, pour quelque raison que ce soit, nous empêche de nous prêter à cet entretien. Celui qui s’est abaissé et a montré sa faiblesse dans vingt circonstances fera preuve de fierté la vingt et unième fois, la seule où il serait utile de ne pas s’entêter dans une attitude arrogante et de dissiper une erreur qui va s’enracinant chez l’adversaire faute de démenti. Quant au côté mondain de l’incident, le bruit se répandit que M. de Charlus avait été mis à la porte de chez les Verdurin au moment où il cherchait à violer un jeune musicien. Ce bruit fit qu’on ne s’étonna pas de voir M. de Charlus ne plus reparaître chez les Verdurin, et quand par hasard il rencontrait quelque part un des fidèles qu’il avait soupçonnés et insultés, comme celui-ci gardait rancune au baron, qui lui-même ne lui disait pas bonjour, les gens ne s’étonnaient pas, comprenant que personne dans le petit clan ne voulût plus saluer le baron.

Tandis que M. de Charlus, assommé sur le coup par les paroles que venait de prononcer Morel et l’attitude de la Patronne, prenait la pose de la nymphe en proie à la terreur panique, M. et Mme Verdurin s’étaient retirés vers le premier salon, comme en signe de rupture diplomatique, laissant seul M. de Charlus tandis que, sur l’estrade, Morel enveloppait son violon. « Tu vas nous raconter comment cela s’est passé, dit avidement Mme Verdurin à son mari. — Je ne sais pas ce que vous lui avez dit, il avait l’air tout ému, dit Ski, il a des larmes dans les yeux. » Feignant de ne pas avoir compris : « Je crois que ce que j’ai dit lui a été tout à fait indifférent », dit Mme Verdurin par un de ces manèges qui ne trompent pas, du reste, tout le monde, et pour forcer le sculpteur à répéter que Charlie pleu-