Page:Proust - La Prisonnière, tome 2.djvu/150

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vertu s’entourait de beaucoup de vices. « Vous n’avez pas l’air bien, mon cher cousin, dit-elle à M. de Charlus. Appuyez-vous sur mon bras. Soyez sûr qu’il vous soutiendra toujours. Il est assez solide pour cela. » Puis levant fièrement les yeux devant elle (en face de qui, me raconta Ski, se trouvaient alors Mme  Verdurin et Morel) : « Vous savez qu’autrefois à Gaète il a déjà tenu en respect la canaille. Il saura vous servir de rempart. » Et c’est ainsi, emmenant à son bras le baron, et sans s’être laissé présenter Morel, que sortit la glorieuse sœur de l’impératrice Élisabeth. On pouvait croire, avec le caractère terrible de M. de Charlus, les persécutions dont il terrorisait jusqu’à ses parents, qu’il allait, à la suite de cette soirée, déchaîner sa fureur et exercer des représailles contre les Verdurin. Nous avons vu pourquoi il n’en fut rien tout d’abord. Puis le baron, ayant pris froid à quelque temps de là et contracté une de ces pneumonies infectieuses qui furent très fréquentes alors, fut longtemps jugé par ses médecins, et se jugea lui-même, comme à deux doigts de la mort, et resta plusieurs mois suspendu entre elle et la vie. Y eut-il simplement une métastase physique, et le remplacement par un mal différent de la névrose, qui l’avait jusque-là fait s’oublier jusque dans des orgies de colère ? Car il est trop simple de croire que, n’ayant jamais pris au sérieux, du point de vue social, les Verdurin, mais ayant fini par comprendre le rôle qu’ils avaient joué, il ne pouvait leur en vouloir comme à ses pairs ; trop simple aussi de rappeler que les nerveux, irrités à tout propos, contre des ennemis imaginaires et inoffensifs, deviennent, au contraire, inoffensifs dès que quelqu’un prend contre eux l’offensive, et qu’on les calme mieux en leur jetant de l’eau froide à la figure qu’en tâchant de leur démontrer l’inanité de leurs griefs. Ce n’est probablement pas dans une métastase qu’il faut cher-