Page:Proust - La Prisonnière, tome 2.djvu/205

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Albertine ne me dit pas plus, à partir de cette soirée, qu’elle n’avait fait dans le passé : « Je sais que vous n’avez pas confiance en moi, je vais essayer de dissiper vos soupçons. » Mais cette idée, qu’elle n’exprima jamais, eût pu servir d’explication à ses moindres actes. Non seulement elle s’arrangeait à ne jamais être seule un moment, de façon que je ne pusse ignorer ce qu’elle avait fait, si je n’en croyais pas ses propres déclarations, mais, même quand elle avait à téléphoner à Andrée, ou au garage, ou au manège, ou ailleurs, elle prétendait que c’était trop ennuyeux de rester seule pour téléphoner, avec le temps que les demoiselles mettaient à vous donner la communication, et elle s’arrangeait pour que je fusse auprès d’elle à ce moment-là, ou, à mon défaut, Françoise, comme si elle eût craint que je pusse imaginer des communications téléphoniques blâmables et servant à donner de mystérieux rendez-vous. Hélas ! tout cela ne me tranquillisait pas. J’eus un jour de découragement. Aimé m’avait renvoyé la photographie d’Esther en me disant que ce n’était pas elle. Alors Albertine avait d’autres amies intimes que celle à qui, par le contresens qu’elle avait fait en écoutant mes paroles, j’avais, en croyant parler de tout autre chose, découvert qu’elle avait donné sa photographie. Je renvoyai cette photographie à Bloch. Celle que j’aurais voulu voir, c’était celle qu’Albertine avait donnée à Esther. Comment y était-elle ? Peut-être décolletée, qui sait ? Mais je n’osais en parler à Albertine (car j’aurais eu l’air de ne pas avoir vu la photographie), ni à Bloch, à l’égard duquel je ne voulais pas avoir l’air de m’intéresser à Albertine. Et cette vie, qu’eût reconnue si cruelle pour moi et pour Albertine quiconque eût connu mes soupçons et son esclavage, du dehors, pour Françoise, passait pour une vie de plaisirs immérités que savait habilement se faire octroyer cette « enjôleuse » et, comme