Page:Proust - La Prisonnière, tome 2.djvu/211

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à la fois la mort et la résurrection. Dès que les femmes avaient commencé à en porter, Albertine s’était rappelé les promesses d’Elstir, elle en avait désiré, et nous devions aller en choisir une. Or ces robes, si elles n’étaient pas de ces véritables robes anciennes, dans lesquelles les femmes aujourd’hui ont un peu trop l’air costumées et qu’il est plus joli de garder comme pièces de collection (j’en cherchais, d’ailleurs, aussi de telles pour Albertine), n’avaient pas non plus la froideur du pastiche, du faux ancien. À la façon des décors de Sert, de Bakst et de Benoist, qui, à ce moment, évoquaient dans les ballets russes les époques d’art les plus aimées — à l’aide d’œuvres d’art imprégnées de leur esprit et pourtant originales — ces robes de Fortuny, fidèlement antiques mais puissamment originales, faisaient apparaître comme un décor, avec une plus grande force d’évocation même qu’un décor, puisque le décor restait à imaginer, la Venise tout encombrée d’Orient où elles auraient été portées, dont elles étaient, mieux qu’une relique dans la châsse de Saint-Marc évocatrice du soleil et des turbans environnants, la couleur fragmentée, mystérieuse et complémentaire. Tout avait péri de ce temps, mais tout renaissait, évoqué pour les relier entre elles par la splendeur du paysage et le grouillement de la vie, par le surgissement parcellaire et survivant des étoffes des dogaresses. J’avais voulu une ou deux fois demander à ce sujet conseil à Mme de Guermantes. Mais la duchesse n’aimait guère les toilettes qui font costume. Elle-même, quoique en possédant, n’était jamais si bien qu’en velours noir avec des diamants. Et pour des robes telles que celles de Fortuny, elle n’était pas d’un très utile conseil. Du reste, j’avais scrupule, en lui en demandant, de lui sembler n’aller la voir que lorsque, par hasard, j’avais besoin d’elle, alors que je refusais d’elle depuis longtemps plusieurs invitations par semaine.