Page:Proust - La Prisonnière, tome 2.djvu/244

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ma petite Albertine, j’ai honte de ma violence, j’en suis désespéré. Si nous ne pouvons plus nous entendre, si nous devons nous quitter, il ne faut pas que ce soit ainsi, ce ne serait pas digne de nous. Nous nous quitterons, s’il le faut, mais avant tout je tiens à vous demander pardon bien humblement de tout mon cœur. » Je pensai que, pour réparer cela et m’assurer de ses projets de rester pour le temps qui allait suivre, au moins jusqu’à ce qu’Andrée fût partie, ce qui était dans trois semaines, il serait bon, dès le lendemain, de chercher quelque plaisir plus grand que ceux qu’elle avait encore eus, et à assez longue échéance ; aussi, puisque j’allais effacer l’ennui que je lui avais causé, peut-être ferais-je bien de profiter de ce moment pour lui montrer que je connaissais mieux sa vie qu’elle ne croyait. La mauvaise humeur qu’elle ressentirait serait effacée demain par mes gentillesses, mais l’avertissement resterait dans son esprit. « Oui, ma petite Albertine, pardonnez-moi si j’ai été violent. Je ne suis pas tout à fait aussi coupable que vous croyez. Il y a des gens méchants qui cherchent à nous brouiller, je n’avais jamais voulu vous en parler pour ne pas vous tourmenter. Mais je finis par être affolé quelquefois de certaines dénonciations. Ainsi tenez, lui dis-je, maintenant on me tourmente, on me persécute à me parler de vos relations, mais avec Andrée. — Avec Andrée ? » s’écria-t-elle, la mauvaise humeur enflammant son visage. Et l’étonnement ou le désir de paraître étonnée écarquillait ses yeux. « C’est charmant ! Et peut-on savoir qui vous a dit ces belles choses ? est-ce que je pourrais leur parler à ces personnes ? savoir sur quoi elles appuient leurs infamies ? — Ma petite Albertine, je ne sais pas, ce sont des lettres anonymes, mais de personnes que vous trouveriez peut-être assez facilement (pour lui montrer que je ne croyais pas qu’elle cherchait), car elles doivent bien vous connaître. La dernière, je