Page:Proust - La Prisonnière, tome 2.djvu/39

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compréhension les lèvres peintes du baron. Il dédaigna de répondre directement, mais comme il échafaudait volontiers, en matière mondaine, des théories où se retrouvaient la fertilité de son intelligence et la hauteur de son orgueil, avec la frivolité héréditaire de ses préoccupations : « Saintine aurait dû me consulter avant de se marier, dit-il ; il y a une eugénique sociale comme il y en a une physiologique, et j’en suis peut-être le seul docteur. Le cas de Saintine ne soulevait aucune discussion, il était clair qu’en faisant le mariage qu’il a fait, il s’attachait un poids mort, et mettait sa flamme sous le boisseau. Sa vie sociale était finie. Je le lui aurais expliqué, et il m’aurait compris car il est intelligent. Inversement, il y avait telle personne qui avait tout ce qu’il fallait pour avoir une situation élevée, dominante, universelle ; seulement un terrible câble la retenait à terre. Je l’ai aidée, mi par pression, mi par force, à rompre l’amarre, et maintenant elle a conquis, avec une joie triomphante, la liberté, la toute-puissance qu’elle me doit ; il a peut-être fallu un peu de volonté, mais quelle récompense elle a ! On est ainsi soi-même, quand on sait m’écouter, l’accoucheur de son destin. » Il était trop évident que M. de Charlus n’avait pas su agir sur le sien ; agir est autre chose que parler, même avec éloquence, et que penser, même avec ingéniosité. « Mais en ce qui me concerne, je vis en philosophe qui assiste avec curiosité aux réactions sociales que j’ai prédites, mais n’y aide pas. Aussi ai-je continué à fréquenter Saintine, qui a toujours eu pour moi la déférence chaleureuse qui convenait. J’ai même dîné chez lui, dans sa nouvelle demeure, où on s’assomme autant, au milieu du plus grand luxe, qu’on s’amusait jadis quand, tirant le diable par la queue, il assemblait la meilleure compagnie dans un petit grenier. Vous pouvez donc l’inviter, j’autorise, mais je frappe de mon veto tous les autres