Page:Proust - La Prisonnière, tome 2.djvu/98

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Ministre, dit le général. — Ah ! parfait. Du reste, vous avez vu que c’est bien ce que mérite un talent pareil. Hoyos était enchanté, je n’ai pas pu voir l’Ambassadrice ; était-elle contente ? Qui ne l’aurait pas été, excepté ceux qui ont des oreilles pour ne pas entendre, ce qui ne fait rien, du moment qu’ils ont des langues pour parler. » Profitant de ce que le baron s’était éloigné pour parler au général, Mme  Verdurin fit signe à Brichot. Celui-ci, qui ne savait pas ce que Mme  Verdurin allait lui dire, voulut l’amuser et, sans se douter combien il me faisait souffrir, dit à la Patronne : « Le baron est enchanté que Mlle  Vinteuil et son amie ne soient pas venues. Elles le scandalisent énormément. Il a déclaré que leurs mœurs étaient à faire peur. Vous n’imaginez pas comme le baron est pudibond et sévère sur le chapitre des mœurs. » Contrairement à l’attente de Brichot, Mme  Verdurin ne s’égaya pas : « Il est immonde, répondit-elle. Proposez-lui de venir fumer une cigarette avec vous, pour que mon mari puisse emmener sa Dulcinée sans que le Charlus s’en aperçoive, et l’éclaire sur l’abîme où il roule. » Brichot semblait avoir quelques hésitations. « Je vous dirai, reprit Mme  Verdurin pour lever les derniers scrupules de Brichot, que je ne me sens pas en sûreté avec ça chez moi. Je sais qu’il a eu de sales histoires et que la police l’a à l’œil. » Et comme elle avait un certain don d’improvisation quand la malveillance l’inspirait, Mme  Verdurin ne s’arrêta pas là : « Il paraît qu’il a fait de la prison. Oui, oui, ce sont des personnes très renseignées qui me l’ont dit. Je sais, du reste, par quelqu’un qui demeure dans sa rue, qu’on n’a pas idée des bandits qu’il fait venir chez lui. » Et comme Brichot, qui allait souvent chez le baron, protestait, Mme  Verdurin, s’animant, s’écria : « Mais je vous en réponds ! c’est moi qui vous le dis », expression par laquelle elle cherchait d’habitude à