Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/177

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projet de faire de moi un mari. Je rentrai avec beaucoup de dissimulation et elles me donnèrent aussitôt la lettre de change, en me disant : « La richesse et l’amour, seigneur Don Ramiro, se cachent difficilement. Pourquoi nous déguiser qui vous êtes, vous qui savez combien nous vous sommes attachées ? » Je feignis d’être fâché qu’on eût laissé la lettre de change et je me retirai dans mon appartement. Il fallait voir comment, me croyant de l’argent, elles disaient que tout me seyait bien. Elles célébraient jusqu’au moindre mot que je proférais ; personne n’avait si bon air que moi.

Quand je les vis si enivrées, je déclarai ma passion à la jeune qui m’écouta avec satisfaction et me dit mille choses obligeantes. Nous nous séparâmes et une nuit, pour leur mieux confirmer ma prétendue richesse, je m’enfermai dans mon appartement, qui n’était séparé du leur que par une cloison très mince, et, tirant cinquante écus, je les comptai tant de fois, qu’elles eurent tout lieu de croire qu’il y en avait six mille. La pensée que j’avais tant d’argent produisit sur elles tout l’effet que je pouvais désirer. Elles perdaient le sommeil pour me fêter et me rendre service.

Le Portugais se nommait le seigneur Vasco de Meneses, chevalier de l’Alphabet, je veux dire du Christ. Il avait un manteau de deuil, des bottines, une petite fraise et de grandes moustaches. Il brûlait d’amour pour Dona Berenguela de Rebolledo (c’est ainsi que se nommait l’objet de ma passion).