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DU MANGEUR D’OPIUM

à quelque distance au large. Il nous vit monter à bord, se tenant debout un moment, il demanda : « Tout va bien sur le pont ? — Tout va bien, répondit d’une voix sonore le second du vaisseau. — Lord W —, avez-vous votre manteau de toile cirée ? — Oui, monsieur. — Alors, rameurs, repartons. » Nous prêtâmes un moment l’oreille au bruit cadencé des rames qui l’éloignaient, tout en nous demandant avec étonnement quel crime atroce nous avions pu commettre, pour lui interdire de nous faire même ses derniers adieux. Quant à moi, je ne le revis jamais, et j’ai quelque raison de croire que de son côté, Lord W… ne le revit pas davantage. Ni lui, ni moi ne découvrîmes l’explication du mystère.

Comme pour irriter encore plus notre curiosité, Lord W… me montra un bout de papier déchiré, qui contenait quelques mots de l’écriture de son précepteur, et qui avait été jeté comme exprès sur son chemin, ainsi que d’autres, à ce qu’il croyait. S’il ne se trompait pas, le précepteur avait cherché sans le trouver ce même morceau de papier qui avait pour but de lever le voile qui cachait notre faute, car celui qu’il me montra contenait en toutes lettres ce qui suit : « Quant à l’inquiétude que montre Votre Seigneurie au sujet de l’intimité de monsieur X. Y. Z. avec votre fils et de l’utilité qu’elle peut avoir pour lui, je crois pouvoir maintenant me hasarder à dire… » Là finissait brusquement la feuille sybilline, et nous nous mîmes en vain l’esprit à la torture pour obtenir une plus ample révélation, néanmoins, en arrivant à Dublin, nous nous arrêtâmes, et nous adressâmes un sincère récit de notre voyage et du petit mystère qui nous préoccupait, à la mère de mon ami, en