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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

Angleterre, car il était évident que c’était elle que le précepteur avait prise pour confidente de ses griefs. Lady W… répondit avec bienveillance, mais sa réponse ne jeta aucune clarté sur le problème qui mettait à l’épreuve à la fois notre mémoire et notre habileté dans les interprétations conjecturales, et la sincérité de nos regrets. Je rapporte cette bagatelle, seulement parce que cette même bagatelle renferme un mystère, et offre l’occasion de jeter un coup d’œil sur ce sujet.

Des mystères non moins profonds, mais qui avaient des résultats un peu plus importants, ont parfois croisé mon chemin dans la vie ; il en est un particulièrement, dont le souvenir me revient en ce moment, et qui est connu bien loin à la ronde, dans le pays où il arriva. C’était dans le Comté de S. — Une dame se maria, et elle fit un bon mariage, à ce que l’on croyait. Douze mois après, elle revint seule en chaise de poste chez son père, paya elle-même et renvoya le postillon devant la porte, entra dans la maison, monta dans la chambre qu’elle avait habitée pendant sa jeunesse, et à laquelle la famille avait donné son nom, elle s’y installa de nouveau, fit connaître par signes et par une lettre brève, dès son arrivée, ce qu’elle demandait, et elle passa près de vingt ans dans cette réclusion de trappiste ; en silence, et même à l’heure de la mort, elle ne fit point connaître les circonstances qui avaient dissous l’union qu’elle avait formée, et qu’on croyait heureuse, ni ce qu’était devenu son mari. Son air et ses gestes étaient de nature à réprimer toutes questions inspirées par la seule curiosité, et l’affection des siens respecta naturellement un secret qui était gardé avec cette rigueur. On pourrait supposer