Page:Quincey - Souvenirs autobiographiques du mangeur d’opium, trad. Savine, 1903.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

traits s’éclairèrent soudain d’un sourire, un sourire sarcastique, je le savais bien. Ce fut Lord Castlereagh. Au moment même où furent prononcés les mots irrévocables, il prit un air grave et promena un regard pénétrant sur un groupe de dames. Sa propre femme se trouvait parmi elles, mais je ne pus reconnaître à laquelle d’entre elles son sourire s’était arrêté. Après cela, je n’eus guère le loisir de m’intéresser à ce qui suivit. « Désormais, me dis-je, vous n’êtes plus qu’une bande de vagabonds et d’intrus, et vous n’avez pas plus que moi le droit d’être ici. » Apparemment ils furent du même avis, car dès qu’eut retenti le fiat solennel de Jupiter, Leurs Seigneuries, ne sachant plus que faire de leurs robes, se hâtèrent tant qu’ils purent, de s’en débarrasser, et j’aurais bien voulu qu’il se présentât à ce moment une troupe de brocanteurs juifs pour leur en offrir une chomme t’archent. La Chambre se dispersa bien plus vite qu’elle ne s’était réunie.

Au dehors nous revîmes le Major Sirr encore occupé, comme quand nous l’avions quitté, à mettre la main de la loi au collet de pickpockets, vieux praticiens ou apprentis, et tous les intéressés renvoyés à se pourvoir de consolation comme ils l’entendraient dans le grand événement de la soirée, le dîner.

Alors nous fûmes libres de quitter Dublin. Parlements, installations, bals masqués et toutes les splendeurs secondaires que fait naître la célébration des splendeurs initiales, tout cela avait cessé de briller sur la capitale de l’Irlande. La saison, comme on l’appelle dans les grandes villes, avait pris fin ; malheureusement elle avait été la dernière saison pour tous ceux qui avaient pour