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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

était l’infatuation, tel était l’entêtement, qu’aucun officier supérieur ne voulut s’abaisser à l’écouter. Les suites sont aisées à prévoir. Le colonel Walpole, Anglais, plein de courage, mais professant envers l’ennemi un dédain présomptueux, conduisit une division par l’une des deux routes, mais sans envoyer d’éclaireurs, sans prendre aucune précaution. Il fut soudain surpris et arrêté ; il refusa de faire halte ou de reculer, eut la tête traversée par une balle. Une grande partie du détachement d’avant-garde fût massacrée, et son artillerie capturée.

Le général Loftus, qui s’avançait par la route parallèle, entendit la fusillade et détacha au secours de Walpole la compagnie de grenadiers de la milice d’Antrim. Ceux-ci, au nombre de 70, furent tués jusqu’au dernier, et quand le général, qui ne voulait pas passer d’une route à l’autre, à travers les clôtures, à cause de l’artillerie qui l’encombrait, arriva enfin par un long détour, sur le lieu de l’action, il se trouva dans la situation vraiment grotesque que voici : les rebelles avaient poursuivi la division du colonel Walpole jusqu’à Gorey, et s’étaient emparés de cette localité ; le général avait ainsi perdu son quartier-général sans avoir vu l’armée, qu’il avait laissée glisser dans l’obscurité. Tout marri, il se remit en marche vers Gorey, jeta un coup d’œil sur les postes ennemis qui occupaient la ville en force, fut salué par une salve de ses propres canons, et finit par battre en retraite hors du comté.

J’ai rapporté cette manœuvre du général Loftus, et celle du général Fawcet qui lui est antérieure, avec plus de détails qu’elles n’en méritaient, parce qu’elles montrent le plus clairement