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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

heures n’aient passé sur nos têtes. » Tout en disant cela, il s’évertuait à amorcer ses pistolets ; puis après une pause, il reprit : « Non, mon jeune ami, cela seul suffirait éprouver ses mauvaises intentions, qu’il se qualifie de fermier. Fermier, il ne l’est pas, c’est un déterminé détrousseur de grande route. J’ai remarqué ses regards sournois pendant que l’hôtelier parlait, et je pourrais jurer qu’il a de sinistres projets. »

Tout en parlant, il ne cessait de jeter de côté et d’autre des coups d’œil anxieux pendant que nous avancions. Nous étions excités l’un et l’autre, lui par l’esprit d’aventure, moi par contagion sympathique, et tous deux par le vin.

Le vin toutefois se chargea d’apporter un remède aux illusions qu’il avait lui-même produites. À trois milles de la ville que nous venions de quitter. Nous étions plongés dans un état qui nous eût rendu bien difficile toute résistance efficace à des brigands de grand chemin : nous dormions à poings fermés. Tout à coup un arrêt brusque nous réveilla : Méphistophélès chercha de la main ses pistolets, la portière s’ouvrit à grand bruit, et les lumières qui éclairaient un groupe nous annoncèrent que nous étions arrivés à Mansfield.

Cette nuit-là, nous continuâmes notre route jusqu’à Newark, qui était à quarante milles du terme de notre voyage. Puis, nous employâmes la journée du lendemain à parcourir cette distance, entre le déjeuner et le dîner. Mais ce qui montre d’une manière frappante quel était l’état des routes en Angleterre, quand vos affaires vous obligeaient à vous rendre en des contrées un peu écartées des routes principales, suivies par les