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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

personne. Dans les descriptions fabuleuses des romans qui pullulaient à cette époque et dans les reportages publiés par les journaux, de conversations réelles ou prétendues entre le roi et des personnes placées au-dessous de lui, nous voyons souvent l’auteur faire montre de sa manière de comprendre l’aristocratie en représentant le roi comme s’adressant à ses interlocuteurs sans leur donner leurs titres. Par exemple, on voit figurer dans ces scènes-là le duc de Wellington, ou Lord Liverpool sous les noms de, Wellington ou Arthur, et de Liverpool (tout court). Je ne prétends pas connaître de quel langage se sert Georges IV, dans ses conversations privées, mais pour parler d’une manière générale je puis dire que l’usage des plus hautes classes est diamétralement opposé. Nulle part un homme n’est aussi certain de s’entendre donner ses titres ou ses distinctions officielles, car c’est en donnant satisfaction aux autres selon les exigences les plus minutieuses de l’étiquette, qu’il s’attend à ce qu’on observe la même exactitude à son égard. Comme il ne néglige aucun détail de la courtoisie indiquée par la circonstance, il cherche sans cesse à tenir présent à la mémoire d’autrui ce qu’il attend de lui, et le résultat est tel que je le représente : les personnes qui occupent les situations les plus élevées, et par suite celles qui les mettent en contact continuel avec des inférieurs, sont, de tous les hommes, les moins sujets à se montrer insolents, ou à manquer de politesse. À vrai dire, l’uniforme suavité dans les manières se trouve rarement ailleurs que chez les gens de haut rang. Sans doute cela vient d’un motif d’intérêt personnel, Ils sont anxieux de ne pas donner la moindre prise, de ne pas offrir la