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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

dige. Mais sa supériorité ne consistait pas, comme c’est le cas le plus fréquent dans la vivacité, la promptitude ; c’était un développement extraordinaire de l’intelligence ; sa portée de compréhension avait une étendue qui stupéfiait les gens chez une enfant de huit ans. À part cela, elle montrait la lenteur d’une enfant mélancolique. Il fut décidé qu’on lui ouvrirait la tête ; cette opération fut faite par un chirurgien de quelque célébrité, M. Charles White, qui avait été élève de Hunter, et qui a mesuré un nombre infini de crânes, surtout de crânes africains, et écrit un livre, pour prouver que l’être humain est rattaché par une chaîne régulière d’anneaux à la bête ; qu’en d’autres termes le passage, du crâne de l’Africain à celui d’un singe quelconque, n’est pas plus brusque que celui de l’Européen à l’Africain. M. White, après l’opération, déclara bien des fois que le crâne de l’enfant était « le plus beau», qu’il eût jamais vu. Après sa mort, une gravité habituelle (je ne puis l’appeler de la mélancolie) et la sensation de la présence d’un être effrayant mais vague s’empara de moi, et ne m’a jamais quitté. Si j’avais été un enfant chétif, elle m’eût rendu sombre. Mais telle qu’elle était, comme je me portais assez bien, j’étais généralement heureux, et le résultat de mes rapports incessants avec les choses de la mort et de la tombe, consista simplement en ceci, que je ne jouais jamais, et que mon esprit était peuplé de figures solennelles.

En disant que je ne jouais jamais, je dois faire deux exceptions ; la poudre, chose à laquelle il me semblait impossible d’ôter son caractère sérieux, m’amusait autant qu’elle amuse tous les enfants, et quand il fallait absolument jouer à quelque