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DU MANGEUR D’OPIUM

détournions pour prendre une rue moins tumultueuse, mais toujours caractérisée par des milles de longueur ; enfin vers midi, nous nous arrêtâmes à un endroit qui n’a pas laissé dans ma mémoire un souvenir plus net que la route par où nous y étions parvenus.

Pourquoi étions-nous venus ? Pour voir Londres. Et quelles limites nous étions-nous fixé pour exécuter ce petit tour de force ? À cinq heures nous devions dîner à P., résidence qu’habitait le grand-père de Lord W. La distance était telle qu’il nous fallait quitter Londres à trois heures et demie, de sorte qu’il nous restait un peut plus de trois heures. Notre conducteur, le tuteur de mon ami nous fut enlevé par des affaires, jusqu’à cette heure-là, de sorte que nous fûmes abandonnés à nous-mêmes, nous eûmes à mettre à profit ce temps-là à notre gré, à découvrir, si cela était possible le moyen de faire quelque chose qui, soit par politesse, soit par une fiction légale, de nature à contenter un homme de loi, ou à remplir à la lettre les conditions d’un pari pût s’appeler « avoir vu Londres ».

Que faire ? Nous nous arrêtâmes avec découragement pour réfléchir. Ce n’était pas faute de spectacles attrayants, pleins de promesses, au contraire : il y en avait trop ; inopes nos copia fecit[1], et nous étions embarrassée du choix. Mais y en avait-il un qui pût être regardé comme un ensemble, comme une synthèse de l’univers qu’était Londres ? Nous ne pouvions, cela était clair, faire le tour de cette immense circonférence ; par conséquent, ce qu’il y avait de mieux à faire après cela, c’était de nous placer autant que possible à quelque portée des

  1. L’abondance nous a appauvris.