Page:Rabbe - Album d’un pessimiste, I, 1836.djvu/10

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Ô noble ami ! pareil aux hommes d’autrefois,
Il manque parmi nous ta voix, ta forte voix,
Pleine de l’équité qui gonflait ta poitrine ;
Il nous manque ta main qui grave et qui burine,
Dans ce siècle où par l’or les sages sont distraits,
Où l’idée est servante auprès des intérêts,
Temps de fruits avortés et de tiges rompues,
D’instincts dénaturés, de raisons corrompues,
Où, dans l’esprit humain tout étant dispersé,
Le présent au hasard flotte sur le passé !


Si parmi nous ta tête était debout encore,
Cette cîme où vibrait l’éloquence sonore,
Au milieu de nos flots tu serais calme et grand ;
Tu serais comme un pont posé sur ce courant.


Tu serais pour chacun la voix haute et sensée
Qui fait que tout brouillard s’en va de la pensée,
Et que la vérité, qu’en vain nous repoussions,
Sort de l’amas confus des sombres visions !


Tu dirais aux partis qu’ils font trop de poussière
Autour de la raison pour qu’on la voie entière ;