Page:Rabelais - Pantagruel, ca 1530.djvu/104

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querent iusques au pres de la navire, et par ce que le rivage glissoit, tumberent eulx et leurs chevaulx iusques au nombre de quarante et quatre. Quoy voyans les aultres approcherent pensans qu’on leur eust resisté à l’arrivée. Mais Panurge leur dist. Messieurs ie croy que vous soyez faict mal, pardonnez le nous : car ce n’est pas de nous, mais c’est de la lubricité de l’eau de mer, qui est tousiours unctueuse. Nous nous rendons à vostre bon plaisir : autant en dirent les deux compaignons et Epistemon qui estoit sur le tillac, et ce pendant Panurge s’esloignoit et veoit que tous estoient dedans le cerne des chordes, et que ses deux compaignons s’en estoient esloignez faisant place à tous ces chevalliers qui à foulle alloient pour veoir la nef et qui estoit dedans, dont tout soubdain crya à Epistemon, tire tire. A quoy Epistemon commença de tirer au tour, et les deux chordes se vont empestrer entre les chevaulx et les ruyoent par terre bien aysement avecques les chevaucheurs : mais eulx ce voyant tirerent à l’espée et les vouloient desfaire, dont Panurge met le feu en la trainée et les fist tous là brusler comme ames damnées, hommes et chevaulx nul n’en eschappa, exepté ung qui estoit monté sur un cheval turcq, qui gaingnoit à fuyr : mais quand Carpalim l’apperceut, il courut apres en telle hastiveté et allaigresse qu’il le attraipa en moins de cent pas, et saultant sur la croupe de son cheval l’embrassa par derriere et l’amena en la navire. Ceste desconfiture parachevée Pantagruel fut bien ioyeux, et loua merveilleusement l’industrie de ses compaignons, et les fit refraischir et bien repaistre sur le rivage ioyeusement et boire d’autant le ventre contre terre, et leur prisonnier avecques eulx familierement : sinon que le pouvre diable