Page:Rambert - Études littéraires, t2, 1890.djvu/284

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des autres ne sont vraiment connus que des adeptes. Celui dont nous voulons parler aujourd’hui, Leconte de Lisle, l’un des plus ages parmi les cadets de Victor Hugo, le plus fort peut-être, en tous cas l’un des plus remarquables, salué comme un maitre par de nombreux disciples, avait travaillé pendant plus de vingt ans presque à l’insu du grand public lorsqu’une pièce de théâtre a donné quelque retentissement à son nom. Aujourd’hui, l’on sait qu’il existe ; peut-être l’a-t-on applaudi sur la scène ; mais combien peu de personnes ont lu ses recueils ! Et d’une maniere generale, on peut dire que c’est un des traits de la situation littéraire actuelle. Il y a des poëtes en France ; il y en a de très forts ; mais ils sont peu connus. À qui la faute ? Les poëtes disent que c’est au public, le public dit que c’est aux poëtes : c’est peut-être à tout le monde.

C’est une histoire curieuse que celle de la popularité dont a joui la poésie dans le cours de ce siècle. Sous l’Empire et dans les premières années de la Restauration, elle etait tombée aussi bas que possible. On était las de la description pure, des lieux-communs philosophiques, rimés avec une sèche et froide élégance, et l’on allait même jusqu’à se persuader que le vers, et particulierement le vers alexandrin, est un empêchement de poésie, et quand on voulait s’accorder une échappée rafraîchissante dans le monde de l’ideal, on s’adressait à la prose. Le plus