Page:Rambert - Études littéraires, t2, 1890.djvu/288

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conduire à un appauvrissement pire que toutes les servitudes dont ils secouaient le joug. Ils n’eurent bientôt plus que des impressions, et toute impression, bonne ou mauvaise, fugitive ou durable, leur fut matière à poésie. Victor Hugo ne donna jamais dans ce travers ; il était trop de son temps, il en épousait avec trop de chaleur les espérances et les aspirations. On lui passa cette faiblesse : le génie a ses immunités. Mais auprès de lui travaillait dans l’ombre un de ses lieutenants, Théophile Gautier, dont I’influence, plus immédiate, plus directe, finit par entraîner la plupart des jeunes poëtes dans la voie qu’il suivait lui-même, celle de la pure poésie, et de l’art toujours impassible au milieu des sauvages batailles que se livrent les idées, les intérêts, les passions. La poésie ne fut plus pour lui que le vers, le rythme divin, fils de l’éternel ideal, s’emparant des impressions passageres de la vie, et les choisissant comme l’oiseau choisit la branche sur laquelle il se pose pour chanter.

Ainsi firent les disciples de Victor Hugo, et par là ils contribuerent grandement à l’impopularité de la poésie : le peuple ne comprend pas la poésie sans emotion. Mais Victor Hugo, qui suivait une voie directement opposée, devait y contribuer, pour le moins autant, par la violence et l’exageration de l’émotion. Il s’envisageait comme le continuateur littéraire des hommes de 1789 ou de 1793. Il créait entre