Page:Rambert - Études littéraires, t2, 1890.djvu/296

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Dors, ô blanche victime, en notre ame profonde,
Dans ton linceul de vierge et ceinte de lotos ;
Dors ! l’impure laideur est la reine du monde,
Et nous avons perdu le chemin de Paros.

Les dieux sont en poussière et la terre est muette ;
Rien ne parlera plus dans ton ciel deserte.
Dors ! mais vivante en lui, chante au cœur du poëte
L’hymne melodieux de la sainte beauté.

Elle seule survit, inimuable, eternelle.
La mort peut disperser les univers tremblants.
Mais la beauté flamboie, et tout renaît en elle,
Et les mondes encor roulent sous ses pieds blancs.


Voilà des vers admirables, qu’André Chénier n’eût pas desavoués, et dont Alfred de Vigny eut été fier de s’emparer. Mais voyez les vicissitudes des choses humaines : la révolution romantique s’est accomplie en France au nom du génie moderne, et les poëtes qui y ont pris part n’ont été de rien plus loués que d’avoir rompu avec des traditions surannées, de nous avoir délivrés de la race d’Agamemnon, d’avoir appelé le soleil soleil, et non Phebus, d’avoir enfin osé s’inspirer de la nature telle qu’elle est, remplie sans doute de la gloire de Dieu, du Dieu unique et createur, et purgée de toutes ces divinités secondaires qui obstruaient de leurs statues, logées dans toutes les niches, l’architecture grandiose du temple de l’univers. Un quart de siècle s’écoule — qu’est-ce qu’un quart de siècle ? — et voici le paganisme